Simenon, Georges - L'affaire Saint-Fiacre

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    L'affaire Saint-Fiacre
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Simenon, Georges - L'affaire Saint-Fiacre краткое содержание

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Un grattement timide à la porte ; le bruit d'un objet posé sur le plancher ; une voix furtive : « Il est cinq heures et demie ! Le premier coup de la messe vient de sonner… » Maigret fit grincer le sommier du lit en se soulevant sur les coudes et tandis qu'il regardait avec étonnement la lucarne percée dans le toit en pente, la voix reprit : « Est-ce que vous communiez ? »
Maintenant, le commissaire Maigret était debout, les pieds nus sur le plancher glacial. Il marcha vers la porte qui fermait à l'aide d'une ficelle enroulée à deux clous. Il y eut des pas qui fuyaient, et, quand il fut dans le couloir, il eut juste le temps d'apercevoir une silhouette de femme en camisole et en jupon blanc. Alors il ramassa le broc d'eau chaude que Marie Tatin lui avait apporté, ferma sa porte, chercha un bout de miroir devant lequel se raser.
[http://www.amazon.fr/LAffaire-Saint-Fiacre-Georges-Simenon/dp/225314293X](http://www.amazon.fr/LAffaire-Saint-Fiacre-Georges-Simenon/dp/225314293X)

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GEORGES SIMENON

L’Affaire

Saint-Fiacre

Maigret XIII

ARTHÈME FAYARD I La petite fille qui louchait Un grattement timide à la - фото 1

ARTHÈME FAYARD

I

La petite fille qui louchait

Un grattement timide à la porte ; le bruit d’un objet posé sur le plancher ; une voix furtive :

— Il est cinq heures et demie ! Le premier coup de la messe vient de sonner…

Maigret fit grincer le sommier du lit en se soulevant sur les coudes, et tandis qu’il regardait avec étonnement la lucarne percée dans le toit en pente, la voix reprit :

— Est-ce que vous communiez ?

Maintenant le commissaire Maigret était debout, les pieds nus sur le plancher glacial. Il marcha vers la porte qui fermait à l’aide d’une ficelle enroulée à deux clous. Il y eut des pas qui fuyaient, et quand il fut dans le couloir, il eut juste le temps d’apercevoir une silhouette de femme en camisole et en jupon blanc.

Alors il ramassa le broc d’eau chaude que Marie Tatin lui avait apporté, ferma sa porte, chercha un bout de miroir devant lequel se raser.

La bougie n’en avait plus que pour quelques minutes à vivre. Au-delà de la lucarne, c’était encore la nuit complète, une nuit froide d’hiver naissant. Quelques feuilles mortes subsistaient aux branches des peupliers de la grand-place.

Maigret ne pouvait se tenir debout qu’au centre de la mansarde, à cause de la double pente du toit. Il avait froid. Toute la nuit un filet d’air, dont il n’avait pu repérer l’origine, avait glacé sa nuque.

Mais justement cette qualité de froid le troublait en le plongeant dans une ambiance qu’il croyait avoir oubliée.

Le premier coup de la messe… Les cloches sur le village endormi… Quand il était gosse, Maigret ne se levait pas si tôt… Il attendait le deuxième coup, à six heures moins un quart, parce qu’en ce temps-là il n’avait pas besoin de se raser… Est-ce que seulement il se débarbouillait ?

On ne lui apportait pas d’eau chaude… Il arrivait que l’eau fût gelée dans le broc… Peu après ses souliers sonnaient sur la route durcie…

Maintenant, tandis qu’il s’habillait, il entendait Marie Tatin qui allait et venait dans la salle de l’auberge, secouait la grille du poêle, entrechoquait la vaisselle, tournait le moulin à café.

Il endossa son veston, son pardessus. Avant de sortir, il prit dans son portefeuille un papier épinglé d’un papillon administratif qui portait la mention :

« Police municipale de Moulins. Transmis à toutes fins utiles à la Police judiciaire de Paris. »

Puis une feuille quadrillée. Une écriture appliquée :

… commis à l’église de Saint-Fiacre pendant la première messe du Jour des morts.

Le papier avait traîné pendant plusieurs jours dans les bureaux du Quai des Orfèvres. Maigret l’avait aperçu par hasard, s’était étonné.

— Saint-Fiacre, par Matignon ?

— C’est probable, puisque cela nous est transmis par Moulins.

Et Maigret avait mis le papier dans sa poche. Saint-Fiacre ! Matignon ! Moulins ! Des mots qui lui étaient plus familiers que tous les autres.

Il était né à Saint-Fiacre, où son père avait été pendant trente ans régisseur du château ! La dernière fois qu’il s’y était rendu, c’était justement à la mort de son père, qu’on avait enterré dans le petit cimetière, derrière l’église.

« Un crime sera commis… pendant la première messe… »

Maigret était arrivé la veille. Il était descendu à l’unique auberge : celle de Marie Tatin.

Elle ne l’avait pas reconnu, mais il l’avait reconnue, lui, à cause de ses yeux. La petite fille qui louchait, comme on l’appelait jadis ! Une petite fille malingre qui était devenue une vieille fille encore plus maigre, louchant de plus en plus, s’agitant sans fin dans la salle, dans la cuisine, dans la cour où elle élevait des lapins et des poules !

Le commissaire descendit. En bas, c’était éclairé au pétrole. Le couvert était mis dans un coin. Du gros pain gris. Une odeur de café à la chicorée, du lait bouillant.

— Vous avez tort de ne pas communier un jour comme aujourd’hui ! Surtout que vous vous donnez la peine d’aller à la première messe… Mon Dieu ! Voilà déjà le second coup qui sonne !…

La voix des cloches était frêle. On entendit des pas sur la route. Marie Tatin s’enfuit dans sa cuisine pour y passer sa robe noire, ses gants de fil, son petit chapeau que le chignon empêchait de tenir droit.

— Je vous laisse finir de manger… Vous fermerez la porte à clé ?…

— Mais non ! Je suis prêt…

Elle fut confuse de faire la route avec un homme ! Un homme qui venait de Paris ! Elle trottait, menue, penchée en avant, dans le froid matin. Des feuilles mortes voletaient sur le sol. Leur froissement sec indiquait qu’il avait gelé pendant la nuit.

Il y avait d’autres ombres qui convergeaient vers la porte vaguement lumineuse de l’église. Les cloches sonnaient toujours. Quelques lumières aux fenêtres des maisons basses : des gens qui s’habillaient en hâte pour la première messe.

Et Maigret retrouvait les sensations d’autrefois : le froid, les yeux qui picotaient, le bout des doigts gelé, un arrière-goût de café. Puis, en entrant dans l’église, une bouffée de chaleur, de lumière douce ; l’odeur des cierges, de l’encens…

— Vous m’excusez… J’ai mon prie-Dieu… dit-elle.

Et Maigret reconnut la chaise noire à accoudoir de velours rouge de la vieille Tatin, la mère de la petite fille qui louchait.

La corde que le sonneur venait de lâcher frémissait encore au fond de l’église. Le sacristain achevait d’allumer les cierges.

Combien étaient-ils, dans cette réunion fantomatique de gens mal réveillés ? Une quinzaine au plus. Il n’y avait que trois hommes : le bedeau, le sonneur et Maigret.

« … Un crime sera commis… »

À Moulins, la police avait cru à une mauvaise plaisanterie et ne s’était pas inquiétée. À Paris, on s’était étonné de voir partir le commissaire.

Celui-ci entendait du bruit, derrière la porte placée à droite de l’autel, et il pouvait deviner seconde par seconde ce qui se passait : la sacristie, l’enfant de chœur en retard, le curé qui, sans un mot, passait sa chasuble, joignait les mains, se dirigeait vers la nef, suivi par le gamin trébuchant dans sa robe…

Le gamin était roux. Il agita sa sonnette. Le murmure des prières liturgiques commença.

« … pendant la première messe… »

Maigret avait regardé une à une toutes les ombres. Cinq vieilles femmes, dont trois avaient leur prie-Dieu réservé. Une grosse fermière. Des paysannes plus jeunes et un enfant…

Un bruit d’auto, dehors. Le grincement d’une portière. Des pas menus, légers, et une dame en deuil qui traversait toute l’église.

Dans le chœur, il y avait un rang de stalles, réservées aux gens du château, des stalles dures, en vieux bois tout poli. Et c’est là que la femme s’installa, sans bruit, suivie par le regard des paysannes.

Requiem aeternam dona eis, Domine…

Maigret eût peut-être encore pu donner la réplique au prêtre. Il sourit en pensant que jadis il préférait les messes de mort aux autres, parce que les oraisons sont plus courtes. Il se souvenait de messes célébrées en seize minutes !

Mais déjà il ne regardait plus que l’occupante de la stalle gothique. Il apercevait à peine son profil. Il hésitait à reconnaître la comtesse de Saint-Fiacre.

Dies irae, dies Ma…

C’était bien elle, pourtant ! Mais quand il l’avait vue pour la dernière fois elle avait vingt-cinq ou vingt-six ans. C’était une femme grande, mince, mélancolique, qu’on apercevait de loin dans le parc.

Et maintenant elle devait avoir soixante ans bien sonnés… Elle priait ardemment… Elle avait un visage émacié, des mains trop longues, trop fines qui étreignaient un missel…

Maigret était resté au dernier rang des chaises de paille, celles qu’à la grand-messe on fait payer cinq centimes mais qui sont gratuites aux messes basses.

« … Un crime sera commis… »

Il se leva avec les autres au premier évangile. Des détails le sollicitaient de toutes parts et des souvenirs s’imposaient à lui. Par exemple, il pensa soudain :

— Le Jour des morts, le même prêtre célèbre trois messes…

De son temps, il déjeunait chez le curé, entre la seconde et la troisième. Un œuf à la coque et du fromage de chèvre !

C’était la police de Moulins qui avait raison ! Il ne pouvait pas y avoir de crime ! Le sacristain avait pris place au bout des stalles, quatre places plus loin que la comtesse. Le sonneur était parti à pas lourds, comme un directeur de théâtre qui ne se soucie pas d’assister à son spectacle.

D’hommes, il n’y avait plus que Maigret et le prêtre ; un jeune prêtre au regard passionné de mystique. Il ne se pressait pas, comme le vieux curé que le commissaire avait connu. Il n’escamotait pas la moitié des versets.

Les vitraux pâlissaient. Dehors, le jour se levait. Une vache meuglait dans une ferme.

Et bientôt tout le monde courbait l’échine pour l’élévation. La grêle sonnette de l’enfant de chœur tintait.

Il n’y eut que Maigret à ne pas communier. Toutes les femmes s’avancèrent vers le banc, mains jointes, visage hermétique. Des hosties, si pâles qu’elles semblaient irréelles, passaient un instant dans les mains du prêtre.

Le service continuait. La comtesse avait le visage dans les mains.

Pater Noster…

Et ne nos inducas in tentationem…

Les doigts de la vieille dame se disjoignaient, découvraient le faciès tourmenté, ouvraient le missel.

Encore quatre minutes ! Les oraisons. Le dernier Évangile ! Et ce serait la sortie ! Et il n’y aurait pas eu de crime !

Car l’avertissement disait bien : la première messe…

La preuve que c’était fini, c’est que le bedeau se levait, pénétrait dans la sacristie…

La comtesse de Saint-Fiacre avait à nouveau la tête entre les mains. Elle ne bougeait pas. La plupart des autres vieilles étaient aussi rigides.

Ité missa est… « La messe est dite… »

Alors seulement Maigret sentit combien il avait été angoissé. Il s’en était à peine rendu compte. Il poussa un involontaire soupir. Il attendit avec impatience la fin du dernier évangile, en pensant qu’il allait respirer l’air frais du dehors, voir les gens s’agiter, les entendre parler de choses et d’autres…

Les vieilles s’éveillaient toutes à la fois. Les pieds remuaient sur les froids carreaux bleus du temple. Une paysanne se dirigea vers la sortie puis une autre. Le sacristain parut avec un éteignoir, et un filet de fumée bleue remplaça la flamme des bougies.

Le jour était né. Une lumière grise pénétrait dans la nef en même temps que des courants d’air.

Il restait trois personnes… Deux… Une chaise remuait… Il ne restait plus que la comtesse, et les nerfs de Maigret se crispèrent d’impatience…

Le sacristain, qui avait terminé sa tâche, regarda M me de Saint-Fiacre. Une hésitation passa sur son visage. Au même moment le commissaire s’avança.

Ils furent deux tout près d’elle, à s’étonner de son immobilité, à chercher à voir le visage que cachaient les mains jointes. Maigret, impressionné, toucha l’épaule. Et le corps vacilla, comme si son équilibre n’eût tenu qu’à un rien, roula par terre, resta inerte.

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