Александр Герцен - Том 6. С того берега. Долг прежде всего
- Название:Том 6. С того берега. Долг прежде всего
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- Издательство:Издательство АН СССР
- Год:1955
- Город:Москва
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Александр Герцен - Том 6. С того берега. Долг прежде всего краткое содержание
Настоящее собрание сочинений А. И. Герцена является первым научным изданием литературного и эпистолярного наследия выдающегося деятеля русского освободительного движения, революционного демократа, гениального мыслителя и писателя.
Шестой том собрания сочинений А. И. Герцена содержит произведения 1847–1851 годов. Центральное место в томе принадлежит книге «С того берега» (1847–1850). Заметка «Вместо предисловия или объяснения к сборнику» посвящена вопросу о создании вольной русской печати за границей. Статьи «La Russie» («Россия») и «Lettre d'un Russe à Mazzini» («Письмо русского к Маццини»), опубликованные автором в 1849 г. на французском, немецком и итальянском языках, представляют собою первые сочинения Герцена о России, обращенные к западноевропейскому читателю. Заключает том повесть «Долг прежде всего» (1847–1851).
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Le voyage, comme on voit, profita à Custine.
A son arrivée en Russie, il ne vaut pas mieux lui-même que tous les courtisans, auxquels il lance les traits de sa satire. A. moins peut-être qu'on ne lui fasse un titre d'estime de ce qu'il accepta volontairement le rôle que ceux-ci remplissaient comme un devoir?
Je ne crois pas qu'aucun courtisan ait mis autant d'affectation à relever chaque parole, chaque geste de l'impératrice; à parler du cabinet et de la toilette de l'impératrice, de l'esprit et de l'amabilité de l'impératrice; aucun n'a si souvent répété à l'empereur qu'il était plus grand que son Peuple (Custine alors ne connaissait le Peuple russe que par les cochers de fiacre de Pétersbourg); plus grand que Pierre I er, que l'Europe ne lui rendait pas justice; qu'il était un grand poète et que ses poésies l'attendrissaient jusqu'aux larmes.
Une fois dans la sphère de la cour, Custine ne la quitte pas; il ne sort pas des antichambres et s'étonne de n'y trouver que des valets; c'est aux gens de cour qu'il s'adresse pour en tirer des informations. Ceux-ci savent qu'il est écrivain, ils craignent son bavardage et le trompent. Custine est indigné; il s'irrite et met le tout sur le compte du Peuple russe. Il va à Moscou, il va à Nijni-Novgorod; mais partout il est à Pétersbourg; partout l'atmosphère de Pétersbourg l'environne et donne aux objets qui passent sous ses yeux une teinte uniforme.
Aux relais seulement, il jette de rapides coups d'œil sur la vie du Peuple; il fait d'excellentes remarques, il prophétise à ce Peuple un avenir colossal, il ne peut assez admirer la beauté et l'agilité du paysan, il dit qu'il se sent beaucoup plus libre à Moscou, que l'air y est moins lourd et que les hommes y vivent plus contents.
Il dit, – et poursuivant sa marche sans se mettre en peine le moins du monde d'accorder ces observations avec celles qui ont précédé, sans s'étonner de rencontrer chez un seul et même Peuple des qualités tout-à-fait opposées, – il ajoute: «La Russie aime l'esclavage jusqu'à la passion». Et ailleurs: «Ce Peuple est si grandiose crue même dans ses vices il est plein de force et de grâce».
Gustine n'a pas seulement négligé la manière de vivre du Peuple russe (dont il se tint toujours éloigné), mais il ne savait rien non plus du monde littéraire et savant, bien plus rapproché de lui; il connaissait le mouvement intellectuel de la Russie tout aussi peu que ses amis de cour, qui ne se doutaient pas même, qu'il y eût des livres russes et quelqu'un pour les lire; c'est seulement par hasard et à l'occasion d'un duel qu'il a entendu parler de Pouchkin.
«Poète sans initiative», dit de lui le brave marquis, et oubliant que ce n'est pas des Français qu'il parle, il ajoute: «Les Russes sont généralement incapables de comprendre nettement quelque chose de profond et de philosophique». Peut-on après cela s'étonner que Custine termine son livre précisément, comme il l'a commencé, en disant que la cour est tout en Russie?
Franchement, il a raison, par rapport à ce monde qu'il avait choisi pour centre de son action, et qu'il nomme lui-même si excellement le monde des façades. Sans doute, c'est sa faute s'il n'a voulu rien voir derrière ces façades, et l'on aurait quelque droit de lui en faire reproche, car il répète cent fois dans son livre que l'avenir de la Russie est grand; que plus il apprend à connaître ce pays, plus il tremble pour l'Europe; qu'il voit en lui une puissance grandissant dans sa force, qui s'avance en ennemi contre cette partie du monde qui s'affaiblit chaque jour davantage.
Nous serions donc autorisés, en raison même de ces présages, à exiger de lui une étude un peu plus approfondie de ce Peuple; néanmoins nous devons avouer que s'il a négligé les deux tiers de la vie russe, il en a compris très bien le dernier tiers et l'а dépeint de main de maître en beaucoup d'endroits. Quoiqu'en dise l'autocratie de la cour de Pétersbourg, encore faut-il qu'elle accorde que le portrait est frappant dans ses traits principaux.
Custine sentait lui-même qu'il n'avait étudié que la Russie gouvernementale, la Russie de Pétersbourg. Il prend comme épigraphe le passage de la Bible: «Tel le prince de la ville, tels sont aussi les citoyens». Mais ces paroles ne conviennent pas à la Russie dans sa période actuelle. Le prophète pouvait le dire des Juifs de son temps, comme aujourd'hui chacun peut le dire de l'Angleterre. La Russie ne s'est pas encore formée. La période de Pétersbourg fut une révolution nécessaire en son temps, mais dont la nécessité est déjà moindre aujourd'hui.
Rien ne saurait être plus opposé au brillant et léger marquis de Custine, que le flegmatique agronome westphalien, baron de Haxthausen, conservateur, érudit de vieille souche et l'observateur le plus bienveillant du monde. Haxthausen vint en Russie dans un but qui n'y avait amené encore personne avant lui. Il voulait étudier à fond les mœurs des paysans russes. Après s'être occupé longtemps d'économie rurale en Allemagne, il rencontra par hasard quelques débris des institutions de la commune rurale chez les Slaves; il s'en émerveilla d'autant plus, qu'il les trouva entièrement opposées à toutes les autres institutions du même genre.
Cette découverte le frappa tellement qu'il vint en Russie pour y examiner de près les communes rurales. Haxthausen, instruit dès son enfance que toute puissance vient de Dieu, habitué dès ses plus jeunes ans à vénérer tous les gouvernements, Haxthausen ayant conservé les idées politiques du temps de Puffendorf et de Hugo Grotius, ne pouvait se défendre d'admirer la cour de Pétersbourg. Il se sentait écrasé par cette puissance qui a six cent mille soldats pour sa défense et neuf mille verstes de terrain pour ses bannis. Etonné et anéanti par la grandeur effrayante de cette autocratie, il quitta heureusement bientôt Pétersbourg, resta quelque temps à Moscou et s'éclipsa pour toute une année.
Cette année, Hasthausen l'employa à une étude approfondie de la commune rurale en Russie. Le résultat de ses recherches ne fut pas tout à fait semblable à celui de Custine. Il dit, en effet, qu'en Russie, la commune rurale est tout. Là, suivant l'opinion du baron, est la clef du passé de la Russie et le germe de son avenir, la monade vivifiante de l'Etat russe. «Chaque commune rurale, dit-il, est, en Russie, une petite République, qui se gouverne elle-même pour ses affaires intérieures, qui ne connaît ni propriété foncière personnelle, ni prolétariat; qui a élevé à l'état de fait accompli depuis longtemps une partie des utopies socialistes; on se sait pas vivre autrement ici; et l'on n'y a même jamais autrement vécu».
Je partage entièrement l'opinion de Haxthausen; mais je crois qu'en Russie la commune rurale n'est pas tout non plus. Haxthausen a vraiment saisi le principe vivifiant du Peuple russe; mais, dans sa prévention native pour tout ce qui est patriarcal et, sans aucun talent de critique, il n'a pas vu, que c'est précisément le côté négatif de la vie communale qui a provoqué la réaction de Pétersbourg. S'il n'y avait pas eu complète absorption de la personnalité dans la commune, cette autocratie, dont parle Custine avec un si juste effroi, n'aurait pu se former.
Il me semble qu'il y a dans la vie russe quelque chose de plus élevé que la commune et de plus fort que le pouvoir; ce quleque chose est difficile à exprimer par des mots, et plus difficile encore à indiquer du doigt. Je parle de cette force intime n'ayant pas entièrement conscience d'elle-même, qui tenait si merveilleusement le Peuple russe sous le joug des hordes mongoles et de la bureaucratie allemande, sous le knout oriental d'un Tartare et sous la verge occidentale d'un caporal; je parle de cette force intime, à l'aide de laquelle s'est conservée la physionomie ouverte et belle et la vive intelligence du paysan russe, malgré la discipline avilissante du servage, et qui, au commandement impérial de se civiliser, a répondu, après un siècle, par la colossale apparition d'un Pouchkin; je parle de cette force, enfin, et de cette confiance en soi qui s'agite dans notre poitrine. Cette force, en dehors de tous les accidents extérieurs et malgré eux, a conservé le Peuple russe et protégé cette foi inébranlable qu'il a en lui-même: à quelle fin?.. C'est ce que le temps nous apprendra.
«Communes rurales russes et république, villages slaves et institutions sociales». Ces mots, ainsi accouplés, résonnent sans doute d'une manière bizarre aux oreilles des lecteurs de Haxthausen. Beaucoup, j'en suis sûr, demanderont si l'agronome westphalien était dans son bon sens; et pourtant Haxthausen a parfaitement raison; l'organisation sociale des communes rurales en Russie est une vérité tout aussi grande que la puissante organisation slave du système politique. Cela est étrange!.. Mais n'est-il pas encore plus étrange, qu'à côté des frontières européennes un Peuple ait vécu pendant mille ans, qui compte aujourd'hui cinquante millions d'âmes, et qu'au milieu du dix-neuvième siècle sa manière de vivre soit pour l'Europe une nouveauté inouïe?
La commune rurale russe subsiste de temps immémorial, et les formes s'en retrouvent assez semblables chez toutes les tribus slaves. Là, ou elle n'existe pas, c'est qu'elle a succombé sous l'influence germanique. Chez les Serbes, les Bulgares et les Monténégrins, elle s'est conservée plus pure encore qu'en Russie. La commune rurale représente pour ainsi dire l'unité sociale, une personne morale, l'Etat n'a jamais dû aller au-delà; elle est le propriétaire, la personne à imposer; elle est responsable pour tous et chacun, et par suite autonome en tout ce qui concerne ses affaires intérieures.
Son principe économique est l'antithèse parfaite de la célèbre proposition de Malthus: elle laisse chacun sans exception prendre place à sa table. La terre appartient à la commune et non à ses membres en particulier; à ceux-ci appartient le droit inviolable d'avoir autant de terre que chaque autre membre en possède au dedans de la même commune; cette terre lui est donnée, comme possession sa vie durant; il ne peut et n'a pas besoin non plus de la léguer par héritage. Son fils, aussitôt qu'il a atteint l'âge d'homme, a le droit, même du vivant de son père, de réclamer de la commune une portion de terre. Si le père a beaucoup d'enfants, tant mieux, car ils reçoivent de la commune une portion de terre d'autant plus grande; à la mort de chacun des membres de la famille, la terre revient à la commune.
Il arrive fréquemment, que des vieillards très âgés rendent leur terre et acquièrent par là le droit de ne point payer d'impôts. Un paysan, qui quitte pour quelque temps sa commune, ne perd pas pour cela ses droits sur la terre; ce n'est que par l'exil qu'on peut la lui retirer, et la commune ne peut prendre part à une décision de cette sorte que par un vote unanime; elle n'a cependant recours à ce moyen que dans les cas extrêmes. Enfin, un paysan perd aussi ce droit dans le cas où, sur sa demande, il est affranchi de l'union communale. Il est alors autorisé seulement à prendre avec lui son bien mobilier, rarement lui permet-on de disposer de sa maison ou de la transporter. De cette sorte, le prolétariat rural est chose impossible.
Chacun de ceux qui possèdent une terre, dans la commune, c'est-à-dire chaque individu majeur et imposé, a voix dans les intérêts de la commune. Le président et ses adjoints sont choisis dans une assemblée générale. On procède de même pour décider les procès entre les différentes communes, pour partager la terre et répartir les impôts. (Car c'est essentiellement la terre qui paie et non la personne. Le gouvernement compte seulement les têtes; la commune complète le déficit de ses impôts par têtes au moyen d'une répartition particulière, et prend pour unité le travailleur actif, c'est-à-dire le travailleur qui a une terre à son usage.)
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