Simenon, Georges - Le chien jaune
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Simenon, Georges - Le chien jaune краткое содержание
En ce vendredi 7 novembre, à Concarneau, quand l'horloge lumineuse indique onze heures, toutes les routes sont désertes. Mais à l'hôtel l'Amiral, il y a encore des hommes en train de jouer aux cartes. Cinq minutes plus tard, l'un des joueurs, M. Mostaguen sort ivre de l'hôtel, avance d'environ 200 mètres, s'arrête sur le seuil d'une maison, allume son cigare puis tombe en arrière, blessé par une balle. Malgré l'arrivée de Maigret, les crimes se succèdent et, à chaque meurtre, on constate la présence d'un étrange chien jaune sur les lieux...
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— Regardez !…
Ils ne dirent plus rien. L’homme se levait d’un mouvement si soudain qu’il faillit renverser la bougie. Il reculait vers l’ombre, tandis que la porte s’ouvrait, qu’Emma apparaissait dans la lumière, hésitante, si piteuse qu’elle donnait l’impression d’une coupable.
Elle avait quelque chose sous le bras : une bouteille et un paquet qu’elle posa par terre. Le papier se défit en partie, laissa voir un poulet rôti.
Elle parlait. Ses lèvres remuaient. Elle ne disait que quelques mots, humblement, tristement. Mais son compagnon n’était pas visible pour les policiers.
Est-ce qu’elle ne pleurait pas ? Elle portait sa robe noire de fille de salle, la coiffe bretonne. Elle n’avait retiré que son tablier blanc et cela lui donnait une allure plus déjetée que d’habitude.
Oui ! Elle devait pleurer en parlant… En prononçant des mots espacés. Et, la preuve, c’est qu’elle s’appuyait soudain au chambranle de la porte, enfouissait le visage dans son bras replié. Son dos se soulevait à une cadence irrégulière.
L’homme, en surgissant, noircit presque tout le rectangle de la fenêtre, dégagea ensuite la perspective en s’avançant vers le fond de la pièce. Sa grosse main s’abattit sur l’épaule de la fille, lui imprima une secousse telle qu’Emma fit une volte complète, faillit tomber, montra une pauvre face blême, des lèvres gonflées par les sanglots.
Mais c’était aussi imprécis, aussi flou qu’un film projeté quand les lampes de la salle sont rallumées. Et il manquait autre chose : les bruits, les voix…
Toujours comme du cinéma : du cinéma sans musique.
Et pourtant c’était l’homme qui parlait. Il devait parler fort. C’était un ours. La tête rentrée dans les épaules, le torse moulé par son chandail qui faisait saillir les pectoraux, ses cheveux coupés ras comme ceux d’un forçat, les poings aux hanches, il criait des reproches, ou des injures, ou encore des menaces.
Il devait être prêt à frapper. A tel point que Leroy chercha à toucher Maigret davantage, comme pour se rassurer.
Emma pleurait toujours. Son bonnet, maintenant, était de travers. Son chignon allait tomber. Une fenêtre se ferma quelque part et apporta une diversion d’une seconde.
— Commissaire… est-ce que nous…
L’odeur du tabac enveloppait les deux hommes et leur donnait une illusion de tiédeur.
Pourquoi Emma joignait-elle les mains ?… Elle parlait à nouveau… Son visage était déformé par une trouble expression d’effroi, de prière, de douleur, et l’inspecteur Leroy entendit Maigret qui armait son revolver.
Il n’y avait que quinze à vingt mètres entre les deux groupes. Un claquement sec, une vitre qui volerait en éclats et le colosse serait hors d’état de nuire.
Il marchait maintenant de long en large, les mains derrière le dos, semblait plus court, plus large. Son pied heurta le poulet. Il faillit glisser et il l’envoya rageusement rouler dans l’ombre.
Emma regarda de ce côté.
Que pouvaient-ils bien dire tous les deux ? Quel était le leitmotiv de ce dialogue pathétique ?
Car l’homme semblait répéter les mêmes mots ! Mais ne les répétait-il pas plus mollement ?…
Elle tomba à genoux, s’y jeta plutôt, sur son passage, et tendit les bras vers lui. Il feignit de ne pas la voir, l’évita, et elle ne fut plus à genoux, mais presque couchée, un bras implorant.
Tantôt on voyait l’homme, tantôt l’ombre l’absorbait. Quand il revint, il se dressa devant la fille suppliante qu’il regarda de haut en bas.
Il se remit à marcher, s’approcha, s’éloigna encore, et alors elle n’eut plus la force, ou le courage d’étendre son bras vers lui, de supplier. Elle se laissa aller sur le plancher de tout son long. La bouteille de vin était à moins de vingt centimètres de sa main.
Ce fut inattendu. Le vagabond se pencha, baissa plutôt une de ses lourdes pattes, saisit le vêtement à l’épaule, et, d’un seul mouvement, mit Emma debout. Tout cela si brutalement qu’elle vacilla quand elle ne fut plus maintenue.
Et pourtant, son visage défait ne trahissait-il pas un espoir ? Le chignon était tombé. Le bonnet blanc traînait par terre.
L’homme marchait. Deux fois, il évita sa compagne désemparée.
La troisième fois, il la prit dans ses bras, il l’écrasa contre lui, lui renversa la tête. Et goulûment il colla ses lèvres aux siennes.
On ne voyait plus que son dos à lui, un dos inhumain avec une petite main de femme crispée sur son épaule.
De ses gros doigts, la brute éprouvait le besoin, sans dessouder leurs lèvres, de caresser les cheveux qui pendaient, de les caresser comme s’il eût voulu anéantir sa compagne, l’écraser, mieux : se l’incorporer.
— Par exemple !… fit la voix chavirée de l’inspecteur.
Et Maigret avait été tellement empoigné qu’il faillit, par contrecoup, éclater de rire.
Y avait-il un quart d’heure qu’Emma était là ? L’étreinte avait cessé. La bougie n’en avait plus que pour cinq minutes. Et il y avait dans l’atmosphère une détente presque visible.
Est-ce que la fille de salle ne riait pas ? Elle avait dû trouver quelque part un bout de miroir. En pleine lumière, on la voyait rouler ses longs cheveux, les fixer d’une épingle, chercher par terre une autre épingle qu’elle avait perdue, la tenir entre ses dents pendant qu’elle posait son bonnet.
Elle était presque belle. Elle était belle ! Tout était émouvant, même sa taille plate, sa jupe noire, ses paupières rouges. L’homme avait ramassé le poulet. Et, sans la perdre de vue, il y mordait avec appétit, faisait craquer les os, arrachait des lambeaux de chair.
Il chercha un couteau dans sa poche, n’en trouva pas, cassa le goulot de la bouteille en le frappant sur son talon. Il but. Il voulut faire boire Emma, qui tenta de refuser, en riant. Peut-être le verre cassé lui faisait-il peur ? Mais il l’obligea à ouvrir la bouche, versa tout doucement le liquide.
Elle s’étrangla, toussa. Alors il la prit par les épaules, l’embrassa encore, mais non plus sur les lèvres. Il l’embrassait gaiement, à petits coups, sur les joues, sur les yeux, sur le front et même sur son bonnet de dentelle.
Elle était prête. Il vint coller son visage à la fenêtre et une fois encore il emplit presque en entier le rectangle lumineux. Quand il se retourna, ce fut pour éteindre la bougie.
L’inspecteur Leroy était crispé.
— Ils s’en vont ensemble…
— Oui…
— Ils se feront prendre.
Le groseillier du jardin trembla. Puis une forme fut hissée au sommet du mur. Emma se trouva dans l’impasse, attendit son amant.
— Tu vas les suivre, de loin… Surtout qu’à aucun moment ils ne t’aperçoivent !… Tu me donneras des nouvelles quand tu pourras…
Comme le vagabond l’avait fait pour sa compagne, Maigret aidait l’inspecteur à se hisser le long des ardoises jusqu’à la lucarne. Puis il se penchait pour regarder l’impasse, où les deux personnages n’étaient plus que des têtes.
Ils hésitaient. Ils chuchotaient. Ce fut la fille de salle qui entraîna l’homme vers une sorte de remise dans laquelle ils disparurent, car la porte n’était fermée que par un loquet.
C’était la remise du marchand de cordages. Elle communiquait avec le magasin, où, à cette heure, il n’y avait personne. Une serrure à forcer et le couple atteindrait le quai.
Mais Leroy y serait avant lui.
Dès qu’il eut descendu l’échelle du grenier, le commissaire comprit qu’il se passait quelque chose d’anormal. Il entendait une rumeur dans l’hôtel. En bas, le téléphone fonctionnait au milieu des éclats de voix.
Y compris la voix de Leroy, qui devait parler à l’appareil, car il élevait considérablement le ton.
Maigret dégringola l’escalier, arriva au rez-de-chaussée, se heurta à un journaliste.
— Eh bien ?…
— Un nouveau meurtre… Il y a un quart d’heure… En ville… Le blessé a été transporté à la pharmacie…
Le commissaire se précipita d’abord sur le quai, vit un gendarme qui courait en brandissant son revolver. Rarement le ciel avait été aussi noir. Maigret rejoignit l’homme.
— Que se passe-t-il ?…
— Un couple qui vient de sortir du magasin… Je faisais les cent pas en face… L’homme m’est presque tombé dans les bras… Ce n’est plus la peine de courir… Ils doivent être loin !…
— Expliquez !
— J’entendais du bruit dans la boutique, où il n’y avait pas de lumière… Je guettais, l’arme au poing… La porte s’est ouverte… Un type est sorti… Mais je n’ai pas eu le temps de le mettre en joue… Il m’a donné un tel coup de poing au visage que j’ai roulé par terre… J’ai lâché mon revolver… Je n’avais qu’une peur, c’est qu’il s’en saisît… Mais non !… Il est allé chercher une femme qui attendait sur le seuil… Elle ne pouvait pas courir… Il l’a prise dans ses bras… Le temps de me relever, commissaire… Un coup de poing comme celui-là… Voyez !… Je saigne… Ils ont longé le quai… Ils ont dû faire le tour du bassin… Par là, il y a des tas de petites rues, puis la campagne…
Le gendarme se tamponnait le nez de son mouchoir.
— Il aurait pu me tuer tout comme !… Son poing est un marteau…
On entendait toujours des éclats de voix du côté de l’hôtel, dont les fenêtres étaient éclairées. Maigret quitta le gendarme, tourna l’angle, vit la pharmacie, dont les volets étaient clos, mais dont la porte ouverte laissait échapper un flot de lumière.
Une vingtaine de personnes formaient grappe devant cette porte. Le commissaire les écarta à coups de coude.
Dans l’officine, un homme étendu à même le sol poussait des gémissements rythmés en fixant le plafond.
La femme du pharmacien, en chemise de nuit, faisait plus de bruit à elle seule que tout le monde réuni.
Et le pharmacien lui-même, qui avait passé un veston sur son pyjama, s’affolait, remuait des fioles, déchirait de grands paquets de coton hydrophile.
— Qui est-ce ? questionna Maigret.
Il n’attendit pas la réponse, car il avait reconnu l’uniforme de douanier, dont on avait lacéré une jambe du pantalon. Et maintenant il reconnaissait le visage.
C’était le douanier qui, le vendredi précédent, était de garde dans le port et avait assisté de loin au drame dont Mostaguen avait été victime.
Un docteur arrivait, affairé, regardait le blessé, puis Maigret, s’écriait :
— Qu’est-ce qu’il y a encore ?…
Un peu de sang coulait par terre. Le pharmacien avait lavé la jambe du douanier à l’eau oxygénée, qui formait des traînées de mousse rose.
Un homme racontait, dehors, peut-être pour la dixième fois, d’une voix qui n’en restait pas moins haletante :
— J’étais couché avec ma femme quand j’ai entendu un bruit qui ressemblait à un coup de feu, puis un cri… Puis plus rien, peut-être pendant cinq minutes !… Je n’osais pas me rendormir… Ma femme voulait que j’aille voir… Alors on a perçu des gémissements qui avaient l’air de venir du trottoir, tout contre notre porte… Je l’ai ouverte… J’étais armé… J’ai vu une forme sombre… J’ai reconnu l’uniforme… Je me suis mis à crier, pour éveiller les voisins, et le marchand de fruits, qui a une auto, m’a aidé à amener le blessé ici…
— A quelle heure le coup de feu a-t-il éclaté ?…
— Il y a juste une demi-heure…
C’est-à-dire au moment le plus émouvant de la scène entre Emma et l’homme aux empreintes !…
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