Simenon, Georges - Un crime en Hollande

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    Un crime en Hollande
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Simenon, Georges - Un crime en Hollande краткое содержание

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Quand Maigret arriva à Delfzijl, une après-midi de mai, il n'avait sur l'affaire qui l'appelait dans cette petite ville plantée à l'extrême nord de la Hollande que des notions élémentaires. Un certain Jean Duclos, professeur à l'université de Nancy, faisait une tournée de conférences dans les pays du Nord. A Delfzijl, il était l'hôte d'un professeur à l'Ecole navale, M. Popinga. Or, M. Popinga était assassiné et, si l'on n'accusait pas formellement le professeur français, on le priait néanmoins de ne pas quitter la ville et de se tenir à la disposition des autorités néerlandaises. C'était tout, ou à peu près. Jean Duclos avait alerté l'université de Nancy, qui avait obtenu qu'un membre de la Police Judiciaire fût envoyé en mission à Delfzijl. La tâche incombait à Maigret. Tâche plus officieuse qu'officielle et qu'il avait rendue moins officielle encore en omettant d'avertir ses collègues hollandais de son arrivée. Par les soins de Jean Duclos, il avait reçu un rapport assez confus, suivi d'une liste des noms de ceux qui étaient mêlés de près ou de loin à cette histoire. Ce fut cette liste qu'il consulta un peu avant d'arriver en gare de Delfzijl.


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Georges Simenon

Un crime en Hollande

Maigret VIII

I La jeune fille à la vache Quand Maigret arriva à Delfzijl une aprèsmidi - фото 1

I

La jeune fille à la vache

Quand Maigret arriva à Delfzijl, une après-midi de mai, il n’avait sur l’affaire qui l’appelait dans cette petite ville plantée à l’extrême nord de la Hollande que des notions élémentaires.

Un certain Jean Duclos, professeur à l’Université de Nancy, faisait une tournée de conférences dans les pays du Nord. A Delfzijl, il était l’hôte d’un professeur à l’Ecole navale, M. Popinga. Or, M. Popinga était assassiné et, si l’on n’accusait pas formellement le professeur français, on le priait néanmoins de ne pas quitter la ville et de se tenir à la disposition des autorités néerlandaises.

C’était tout, ou à peu près. Jean Duclos avait alerté l’Université de Nancy, qui avait obtenu qu’un membre de la Police judiciaire fût envoyé en mission à Delfzijl.

La tâche incombait à Maigret. Tâche plus officieuse qu’officielle et qu’il avait rendue moins officielle encore en omettant d’avertir ses collègues hollandais de son arrivée.

Par les soins de Jean Duclos, il avait reçu un rapport assez confus, suivi d’une liste des noms de ceux qui étaient mêlés de près ou de loin à cette histoire.

Ce fut cette liste qu’il consulta un peu avant d’arriver en gare de Delfzijl.

Conrad Popinga (la victime), quarante-deux ans, ancien capitaine au long cours, professeur à l’Ecole navale de Delfzijl. Marié. Pas d’enfants… Parlait couramment l’anglais et l’allemand et assez bien le français.

Liesbeth Popinga, sa femme, fille d’un directeur du lycée d’Amsterdam. Très cultivée. Connaissance approfondie du français.

Any Van Elst, sœur cadette de Liesbeth Popinga, en séjour de quelques semaines à Delfzijl. Récemment passé sa thèse de docteur en droit. Vingt-cinq ans. Comprend un peu le français mais le parle mal.

Famille Wienands, habite la villa voisine des Popinga. Carl Wienands est professeur de mathématiques à l’Ecole navale. Femme et deux enfants. Aucune connaissance du français.

Beetje Liewens, dix-huit ans, fille d’un fermier spécialisé dans l’exportation des vaches de race pure. Deux séjours à Paris. Français parfait.

C’était sans éloquence. Des noms qui n’évoquaient rien, du moins pour Maigret qui arrivait de Paris après une nuit et une demi-journée de chemin de fer.

Delfzijl le dérouta dès la première prise de contact. Au petit jour, il avait traversé la Hollande traditionnelle des tulipes, puis Amsterdam qu’il connaissait. La Drenthe, véritable désert de bruyères aux horizons de trente kilomètres sillonnés de canaux, l’avait surpris.

Il tombait maintenant sur un décor qui n’avait rien de commun avec les cartes postales hollandaises et dont le caractère était cent fois plus nordique qu’il l’avait imaginé.

Une petite ville : dix ou quinze rues au plus, pavées de belles briques rouges aussi régulièrement alignées que les carreaux d’une cuisine. Des maisons basses, en briques aussi, ornées d’une profusion de boiseries aux couleurs claires et joyeuses.

C’était un jouet. D’autant plus jouet qu’autour de la ville, il vit une digue qui l’encerclait complètement. Dans cette digue, des passages pouvant être fermés, par forte mer, à l’aide de lourdes portes semblables aux portes d’écluse.

Au-delà, l’embouchure de l’Ems. La mer du Nord. Un long ruban d’eau argentée. Des cargos en déchargement sous les grues d’un quai. Des canaux et une infinité de bateaux à voiles, grands comme des péniches, lourds comme elles, mais taillés pour franchir les houles marines.

Il y avait du soleil. Le chef de gare portait une jolie casquette orange dont il salua tout naturellement le voyageur inconnu.

En face, il y avait un café. Maigret y entra et c’est à peine s’il osa s’asseoir. Non seulement c’était astiqué comme une salle à manger de petits bourgeois, mais il y régnait la même intimité.

Une seule table, avec tous les journaux du jour étendus sur des tringles de cuivre. Le patron, qui buvait de la bière avec deux clients, se leva pour accueillir Maigret.

— Vous parlez français ? questionna celui-ci.

Geste négatif. Un rien de gêne.

— Donnez-moi de la bière… Bier !…

Et, une fois assis, il tira son petit papier de sa poche. Ce fut le dernier nom qui lui tomba sous les yeux. Il le montra, prononça deux ou trois fois :

— Liewens…

Les trois hommes se mirent à parler entre eux. Puis l’un d’eux se leva, un grand gaillard qui portait une casquette de marin et qui fit signe à Maigret de le suivre. Comme le commissaire n’avait pas encore d’argent hollandais et voulait changer un billet de cent francs, on lui répéta :

— Morgen !… Morgen !…

Demain ! Il n’avait qu’à revenir !…

C’était familial. Cela avait quelque chose de très simple, de candide même. Sans mot dire, le cicérone conduisait Maigret à travers les rues de la petite ville. A gauche, un hangar était plein de vieilles ancres, de cordages, de chaînes, de bouées, de compas qui envahissaient le trottoir. Plus loin, un voilier travaillait sur son seuil.

Et la vitrine de la pâtisserie montrait un choix inouï de chocolats, de sucreries compliquées.

— Pas parler anglais ?

Maigret fit signe que non.

— Pas deutsch ?…

Même signe, et l’homme se résigna au silence. Au bout d’une rue, c’était déjà la campagne : des prés verts, un canal où des bois du Nord flottaient sur presque toute la largeur, attendant d’être remorqués à travers le pays.

Assez loin, un grand toit de tuiles vernies.

— Liewens !… Dag, mijnheer !…

Et Maigret continua son chemin tout seul, non sans avoir essayé de remercier cet homme qui, sans le connaître, avait marché près d’un quart d’heure pour lui rendre service.

Le ciel était pur, l’atmosphère d’une limpidité étonnante. Le commissaire longea un chantier de bois où les billes de chêne, d’acajou, de teck atteignaient la hauteur des maisons.

Il y avait un bateau amarré. Des enfants jouaient. Puis un kilomètre de solitude. Toujours les troncs d’arbres sur le canal. Des barrières blanches autour des champs parsemés de vaches magnifiques.

Nouveau heurt de la réalité avec les notions préconçues : le mot « ferme » évoquait pour Maigret un toit de chaume, des tas de fumier, un grouillement animal.

Et il se trouvait en face d’une belle construction neuve entourée d’un parc tout rutilant de fleurs. Sur le canal, en face de la maison, un canot d’acajou aux lignes fines. Contre la grille, un vélo de dame entièrement nickelé.

Il chercha en vain une sonnette. Il appela sans obtenir de réponse. Un chien vint se frotter à lui.

A gauche de la maison commençait un long bâtiment aux fenêtres régulières, mais sans rideaux, qui aurait fait penser à une remise sans la qualité des matériaux et surtout sans la coquetterie des peintures.

Un beuglement vint de là-bas, et Maigret s’avança, contourna des massifs de fleurs, se trouva devant une porte grande ouverte.

Le bâtiment était une étable, mais une étable aussi propre qu’une maison. Partout de la brique rouge, qui donnait une luminosité chaude, voire somptueuse à l’atmosphère. Des rigoles pour l’écoulement des eaux. Un système mécanique de distribution de la nourriture dans les râteliers. Et une poulie, derrière chaque box, dont Maigret ne connut la raison d’être que plus tard : elles étaient destinées à tenir la queue des vaches levée pendant qu’on les trayait afin que le lait ne pût être souillé.

La pénombre régnait à l’intérieur. Les bêtes étaient dehors, sauf une, couchée sur le flanc dans le premier box.

Et une jeune fille s’approchait du visiteur, le questionnait d’abord en néerlandais.

— Mlle Liewens ?…

— Oui… Vous êtes Français ?…

Tout en parlant, elle regardait la vache. Elle avait un sourire un tantinet ironique que Maigret ne comprit pas tout de suite.

Et ici encore les idées préconçues se révélaient fausses. Beetje Liewens portait des bottes de caoutchouc noir qui lui donnaient des allures d’écuyère.

Par-dessus, une robe de soie verte, que cachait presque entièrement un tablier d’infirmière.

Un visage rose, trop rose peut-être. Un sourire sain, joyeux, mais qui manquait de subtilité. De grands yeux d’un bleu de faïence. Des cheveux roux.

Elle dut chercher ses premiers mots de français, qu’elle prononça avec beaucoup d’accent. Mais elle ne tarda pas à se familiariser à nouveau avec la langue.

— C’est à mon père que vous voulez parler ?

— A vous…

Elle faillit pouffer.

— Vous m’excuserez… Mon père est allé à Groningen… Il ne rentrera que ce soir… Les deux valets sont sur le canal, où ils déchargent du charbon… La servante fait son marché… Et c’est le moment que la vache choisit pour vêler… On ne s’y attendait pas… Je suis toute seule…

Elle était appuyée à un treuil qu’elle avait préparé à tout hasard, au cas où il faudrait aider la bête. Elle souriait de toutes ses dents.

Il y avait du soleil dehors. Ses bottes luisaient comme du vernis. Elle avait les mains grassouillettes et roses, les ongles soignés.

— C’est au sujet de Conrad Popinga que…

Mais elle sourcilla. La vache venait de se lever d’un bond douloureux et de retomber pesamment.

— Attention… Vous voulez m’aider ?…

Elle prit des gants de caoutchouc qui étaient préparés.

C’est ainsi que Maigret commença cette enquête en aidant un veau de pure race frisonne à venir au monde, en compagnie d’une jeune fille dont les gestes assurés révélaient l’entraînement sportif.

Une demi-heure plus tard, tandis que le nouveau-né cherchait déjà les mamelles de sa mère, il était penché avec Beetje sous un robinet de cuivre rouge et se savonnait les mains jusqu’aux coudes.

— C’est la première fois que vous faites ce métier ? plaisanta-t-elle.

— La première…

Elle avait dix-huit ans. Quand elle retira son tablier blanc, la robe de soie sculpta des formes pleines qui, peut-être à cause de l’atmosphère ensoleillée, avaient quelque chose d’extrêmement capiteux.

— Nous parlerons en prenant le thé… Venez à la maison…

La servante était rentrée. Le salon était austère, un peu sombre, mais d’un confort raffiné. Les petites vitres des fenêtres étaient d’un rose délicat, à peine perceptible, que Maigret n’avait jamais rencontré.

Une bibliothèque pleine de livres. De nombreux ouvrages sur l’élevage et sur l’art vétérinaire. Sur les murs, des médailles d’or remportées aux expositions internationales et des diplômes.

Au beau milieu de tout cela, les derniers livres de Claudel, d’André Gide, de Valéry…

Beetje eut un sourire plein de coquetterie.

— Voulez-vous visiter ma chambre ?

Et elle guetta ses impressions. Pas de lit, mais un divan recouvert de velours bleu. Les murs tendus de toile de Jouy. Des rayonnages sombres et des livres encore, une poupée achetée à Paris, toute froufroutante.

Un boudoir, presque, avec pourtant une ambiance un peu lourde, solide, réfléchie.

— N’est-ce pas comme à Paris ?

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