Simenon, Georges - Le port des brumes
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Simenon, Georges - Le port des brumes краткое содержание
Quand on avait quitté Paris, vers trois heures, la foule s’agitait encore dans un frileux soleil d’arrière-saison. Puis, vers Mantes, les lampes du compartiment s’étaient allumées. Dès Evreux, tout était noir dehors. Et maintenant, à travers les vitres où ruisselaient des gouttes de buée, on voyait un épais brouillard qui feutrait d’un halo les lumières de la voie. Bien calé dans son coin, la nuque sur le rebord de la banquette, Maigret, les yeux mi-clos, observait toujours, machinalement, les deux personnages, si différents l’un de l’autre, qu’il avait devant lui. Le capitaine Joris dormait, la perruque de travers sur son fameux crâne, le complet fripé. Et Julie, les deux mains sur son sac en imitation de crocodile, fixait un point quelconque de l’espace, en essayant de garder, malgré sa fatigue, une attitude réfléchie. Joris ! Julie !
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Le chef d’orchestre
Quand Maigret sortit de la villa, Lucas comprit que ça allait barder. Le commissaire était à cran. Il regardait fixement devant lui avec l’air de ne rien voir.
— Tu ne l’as pas retrouvé ?
— Je crois que ce n’est même pas la peine de chercher. Il faudrait organiser une battue pour mettre la main sur un homme qui se cache dans les dunes !
Maigret avait boutonné son pardessus jusqu’au cou, enfonçait les mains dans les poches, mordillait le tuyau de sa pipe.
— Tu vois cette fente des rideaux ? fit-il en désignant la fenêtre du bureau. Et tu vois ce petit mur, juste en face ! Eh bien ! je crois qu’une fois debout sur le mur ton regard pourra plonger par la fente.
Lucas était presque aussi gros que lui, en plus court. Il se hissa sur le mur en soupirant, en observant la route des deux côtés pour s’assurer qu’il ne venait pas de passants.
Avec la nuit, le vent s’était levé, un vent du large qui s’intensifiait de minute en minute et secouait les arbres.
— Tu vois quelque chose ?
— Je ne suis pas assez haut. Il s’en faut de quinze ou vingt centimètres.
Sans rien dire, Maigret marcha vers un tas de pierres qui se trouvait au bord de la route, en rapporta quelques-unes.
— Essaie.
— Je vois le bout de la table, mais pas encore les gens…
Et le commissaire alla chercher de nouvelles pierres.
— Ça y est ! Ils jouent aux dames. La servante leur apporte des verres fumants, des grogs, je suppose.
— Reste là !
Et Maigret se mit, lui, à marcher de long en large sur la route. À cent mètres, c’était la Buvette de la Marine, puis le port. Une camionnette de boulanger passa. Le commissaire faillit l’arrêter pour s’assurer que personne ne s’y cachait, mais il haussa les épaules.
Il y a des opérations très simples en apparence qui sont pratiquement impossibles. Par exemple rechercher l’homme qui s’était volatilisé soudain derrière la villa du maire ! Le rechercher dans les dunes, sur la plage, dans le port et dans le village ? Lui barrer toutes les routes ? Vingt gendarmes n’y suffiraient pas et, s’il était intelligent, il parviendrait à passer quand même.
On ne savait même pas qui il était, ni comment il était fait.
Le commissaire revint vers le mur, où Lucas restait debout dans une pose inconfortable.
— Qu’est-ce qu’ils font ?
— Ils jouent toujours.
— Et ils parlent ?
— Ils n’ouvrent pas la bouche. Le forçat a les deux coudes sur la table et il en est déjà à son troisième grog.
Un quart d’heure s’écoula encore et, de la route, on perçut une sonnerie. Lucas appela le commissaire.
— Un coup de téléphone. Le maire veut se lever. Mais c’est Grand-Louis qui décroche.
On ne pouvait pas entendre ce qu’il disait. La seule chose certaine, c’est que Grand-Louis paraissait satisfait.
— C’est fini ?
— Ils se remettent à jouer.
— Reste là !
Et Maigret s’éloigna dans la direction de la buvette. Comme tous les soirs, ils étaient quelques-uns à jouer aux cartes et ils voulurent inviter le commissaire à boire.
— Pas maintenant. Vous avez le téléphone, mademoiselle ?
L’appareil était fixé au mur de la cuisine. Une vieille femme nettoyait des poissons.
— Allô ! le bureau de poste de Ouistreham ? Police ! Voulez-vous me dire qui vient d’appeler le numéro du maire, s’il vous plaît ?…
— C’est Caen, monsieur.
— Quel numéro ?
— Le 122… C’est le Café de la Gare…
— Je vous remercie.
Il resta un bon moment debout au milieu de la buvette, sans rien voir autour de lui.
— Il y a douze kilomètres d’ici Caen… murmura-t-il soudain.
— Treize ! rectifia le capitaine Delcourt, qui venait d’arriver. Comment va, commissaire ?
Maigret n’entendit pas.
— … soit une petite demi-heure à vélo.
Il se souvint que les éclusiers, qui habitaient presque tous le village, venaient au port à vélo et que ces machines restaient toute la journée en face de la buvette.
— Voulez-vous vous assurer qu’il ne manque pas de bicyclette ?
Et dès lors ce fut comme un engrenage. Le cerveau de Maigret travailla à la façon d’une roue dentée qui emboîtait exactement les événements.
— Sacrebleu ! C’est ma machine qui manque.
Il ne s’étonna pas, ne demanda aucun renseignement, mais il pénétra à nouveau dans la cuisine, décrocha le récepteur :
— Donnez-moi la police de Caen… Oui… Merci… Allô !… Le commissariat principal de police ? Ici, commissaire Maigret, de la PJ. Y a-t-il encore un train pour Paris ?… Vous dites ?… Pas avant 11 heures ?… Non !… Écoutez… Veuillez prendre note…
« 1° S’assurer que Mme Grandmaison… la femme de l’armateur, oui !… est bien partie en auto pour Paris.
« 2° Savoir si un inconnu ne s’est pas présenté dans les bureaux ou au domicile des Grandmaison…
« Oui, c’est facile ! Mais ce n’est pas fini. Vous prenez note ?
« 3° Faire le tour des garages de la ville… Combien y en a-t-il ? Une vingtaine ?… Attendez ! Seuls ceux qui louent des voitures sont intéressants. Commencer aux environs de la gare… Bon ! S’informer d’un quidam qui aurait loué une auto avec ou sans chauffeur pour Paris… ou qui aurait acheté une voiture d’occasion… Allô ! Attendez, sacrebleu !… Il est probable qu’il a laissé un vélo à Caen…
« Oui, c’est tout !… Vous disposez d’assez d’agents pour faire tout cela à la fois ?… Bien, entendu !… Dès que vous aurez le moindre renseignement, vous me téléphonerez à la Buvette de la Marine, à Ouistreham…
Les gens du port, qui prenaient l’apéritif dans la salle surchauffée, avaient tout entendu et quand Maigret revint les visages étaient graves, brouillés par l’anxiété.
— Vous croyez que mon vélo ?… commença un éclusier.
— Un grog ! commanda Maigret d’une voix sèche.
Ce n’était plus l’homme qui, les jours précédents, le sourire bon enfant, trinquait avec chacun. C’est à peine s’il les voyait, s’il les reconnaissait…
— Le Saint-Michel n’est pas revenu de Caen ?
— Il nous est signalé pour la marée du soir. Mais le temps ne lui permettra peut-être pas de sortir.
— Une tempête ?
— Un beau coup de tabac, en tout cas ! Et les vents nordissent, ce qui ne présage rien de bon. Vous n’entendez pas ?…
En tendant l’oreille, on percevait comme un martèlement qui était celui des vagues contre les pilotis de la jetée. Et la bourrasque faisait frémir la porte de la buvette.
— Si par hasard on téléphonait pour moi, qu’on vienne m’avertir sur la route… À cent mètres d’ici…
— En face de chez le maire ?
Maigret eut toutes les peines du monde à allumer sa pipe dehors. Les gros nuages qui couraient bas dans le ciel semblaient accrocher la cime des peupliers bordant la route. À cinq mètres on ne distinguait pas le brigadier Lucas, debout sur son mur.
— Rien de nouveau ?
— Ils ne jouent plus. C’est Louis qui a tout à coup brouillé les pions sur le damier, d’un geste las.
— Qu’est-ce qu’ils font ?
— Le maire est à moitié étendu dans son fauteuil. L’autre fume des cigares et boit des grogs. Il a déjà déchiqueté une dizaine de cigares, avec un air ironique, comme pour faire enrager l’autre.
— Combien de grogs ?
— Cinq ou six…
Maigret, lui, ne voyait rien, qu’une mince fente lumineuse dans la façade. Des ouvriers maçons rentrèrent à vélo de leur travail, se dirigeant vers le village. Puis ce fut une carriole de paysan. Celui-ci, devinant des gens dans l’ombre, fouetta son cheval et se retourna plusieurs fois avec anxiété.
— La servante ?…
— On ne la voit plus. Elle doit être dans sa cuisine. Je vais rester longtemps ici ?… Dans ce cas, vous feriez bien de me donner quelques nouvelles pierres, que je n’aie pas besoin de me hisser sur la pointe des pieds…
Maigret en apporta. Le fracas de la mer devenait de plus en plus distinct. Les vagues, le long de la plage, devaient atteindre une hauteur de deux mètres et s’écraser sur le sable en écume blanche.
Une porte s’ouvrit et se referma du côté du port. C’était à la buvette. Une silhouette parut, quelqu’un chercha à percer l’obscurité. Maigret s’élança :
— Ah ! c’est vous… On vous demande au téléphone…
C’était déjà Caen.
— Allô !… Commissaire Maigret ? Comment avez-vous deviné ? Mme Grandmaison a traversé Caen ce matin, venant de Ouistreham et se dirigeant vers Paris… Elle a laissé sa fille chez elle, à la garde de la gouvernante… À midi, elle est partie en voiture… Quant à l’inconnu, vous aviez raison… On n’a eu à s’adresser qu’à un seul garage, celui qui se trouve en face de la gare… Un homme est arrivé à vélo… Il a voulu louer une voiture sans chauffeur… On lui a répondu que la maison n’acceptait pas ces sortes d’affaires… L’homme paraissait impatient… Il a demandé si tout au moins il pouvait acheter une auto rapide, d’occasion si possible… On lui en a vendu une pour vingt mille francs, qu’il a versés aussitôt… La voiture est jaune, carrossée en torpédo… Comme toutes les voitures à vendre, elle porte la lettre W…
— On sait dans quelle direction elle est partie ?
— L’homme s’est renseigné sur la route de Paris, par Lisieux et Évreux.
— Téléphonez à la police et à la gendarmerie de Lisieux, d’Évreux, de Mantes, de Saint-Germain… Prévenez Paris qu’une surveillance doit être exercée à toutes les portes, surtout à la porte Maillot…
— Il faut arrêter l’auto ?
— Et son occupant, oui ! Vous avez son signalement ?
— Le garagiste l’a donné… Un homme assez grand, entre deux âges, vêtu d’un complet clair, élégant…
— Même consigne que tout à l’heure. Me téléphoner à Ouistreham dès que…
— Pardon ! Il va être sept heures… Le téléphone ne fonctionne plus avec Ouistreham… À moins que vous n’alliez chez le maire…
— Pourquoi ?
— Parce qu’il a le numéro 1 et que la nuit il est relié directement à Caen.
— Mettez quelqu’un au bureau de poste… Si on demande le maire, qu’on se serve de la table d’écoute… Vous avez une voiture ?
— Oui, une petite.
— Cela suffira pour venir m’avertir… Toujours Buvette de la Marine.
Dans le bistrot, le capitaine Delcourt risqua :
— C’est l’assassin qu’on poursuit ?
— Je n’en sais rien !
Ces gens ne pouvaient comprendre que Maigret, si cordial, si familier les jours précédents, pût se montrer maintenant aussi lointain, voire hargneux.
Il sortit sans leur donner le moindre renseignement. Dehors, il fonça à nouveau dans le vacarme de la mer et du vent. Il dut boutonner son manteau, surtout pour traverser le pont, que la tempête faisait trembler.
En face de la maison du capitaine Joris, il s’arrêta, hésita un instant, colla son œil à la serrure. Au bout du corridor, il vit la porte vitrée de la cuisine, qui était éclairée. Derrière les carreaux on apercevait une silhouette qui allait et venait du fourneau à la table.
Il sonna. Julie s’immobilisa, un plat à la main, déposa celui-ci, ouvrit la porte et s’approcha de l’entrée.
— Qui est là ? questionna-t-elle d’une voix angoissée.
— Commissaire Maigret !
Alors elle ouvrit, s’effaça. Elle était nerveuse. Elle avait encore les yeux rouges. Elle ne cessait de jeter autour d’elle des regards apeurés.
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