Simenon, Georges - Maigret aux assises
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— Pourquoi ?
— Parce que ces messieurs, en général, n’ont pas l’habitude de passer l’après-midi à l’hôtel, surtout avec la même femme...
— Je suppose que vous connaissez plus ou moins de vue la faune de Montmartre ?
— Pardon ?
— Je veux dire les hommes dont vous parlez...
— J’en vois passer.
— Cependant, vous n’avez jamais vu celui-là ailleurs que dans votre établissement ?
— Non, monsieur le Président.
— Vous n’en avez pas entendu parler non plus ?
— Je sais seulement qu’on l’appelle Pierrot.
— Comment le savez-vous ?
— Parce qu’il est arrivé à la dame qui l’accompagnait de l’appeler ainsi devant moi.
— Il avait un accent ?
— Pas à proprement parler. Pourtant, j’ai toujours pensé qu’il était du Midi, ou que c’était peut-être un Corse.
— Je vous remercie.
Cette fois encore, on lisait le désappointement sur les visages. On avait attendu une confrontation dramatique et il ne se passait rien, qu’un échange en apparence innocent de questions et de réponses.
Le président regardait l’heure.
— L’audience est suspendue et reprendra à deux heures et demie.
Le même brouhaha que tout à l’heure, à la différence, cette fois, que toute la salle se vidait et qu’on faisait la haie pour voir passer Ginette Meurant. Il semblait, de loin, à Maigret, que Maître Lamblin restait dans son sillage et qu’elle se retournait de temps en temps pour s’assurer qu’il la suivait.
Le commissaire avait à peine franchi la porte qu’il se heurtait à Janvier, lui lançait un regard interrogateur.
— On les a eus, patron. Ils sont tous les deux au Quai.
Le commissaire mettait un bon moment à comprendre qu’il s’agissait d’une autre affaire, un vol à main armée dans une succursale de banque du XX earrondissement.
— Comment cela s’est-il passé ?
— C’est Lucas qui les a arrêtés chez la mère d’un des garçons. L’autre était caché sous le lit et la mère l’ignorait. Depuis trois jours, ils ne sortaient pas. La pauvre femme croyait son fils malade et lui préparait des grogs. Elle est veuve d’un employé des chemins de fer et elle travaille dans une droguerie du quartier...
— Quel âge ?
— Le fils, dix-huit ans. Le camarade, vingt.
— Ils nient ?
— Oui. Je crois pourtant que vous les aurez facilement
— Tu déjeunes avec moi ?
— De toute façon, j’ai prévenu ma femme que je ne rentrerais pas.
Il pleuvait toujours quand ils traversèrent la place Dauphine pour se diriger vers la brasserie qui était devenue une sorte de succursale de la P. J.
— Et au Palais ?
— Encore rien de précis.
Ils s’arrêtèrent devant le comptoir en attendant qu’une table soit libre.
— Il faudra que je téléphone au président pour qu’il m’autorise à m’absenter des débats.
Maigret n’avait pas envie de passer l’après-midi immobile dans la foule, dans la chaleur moite, à écouter des témoins qui, désormais, n’apporteraient plus rien d’imprévu. Ces témoins-là, il les avait entendus dans le calme de son bureau. Pour la plupart, il les avait vus aussi chez eux, dans leur cadre.
La Cour d’Assises avait toujours représenté pour lui la partie la plus pénible, la plus morne de ses fonctions, et il y ressentait chaque fois une même angoisse.
Est-ce que tout n’y était pas faussé ? Non par la faute des juges, des jurés, des témoins, non pas à cause du code ou de la procédure, mais parce que des êtres humains se voyaient soudain résumés, si l’on peut dire, en quelques phrases, en quelques sentences.
Il lui était arrivé d’en discuter avec son ami Pardon, le médecin de quartier avec qui ils avaient pris l’habitude, sa femme et lui, de dîner une fois par mois.
Un jour que son cabinet n’avait pas désempli, Pardon avait laissé pointer du découragement, sinon de l’amertume.
— Vingt-huit clients dans le seul après-midi ! À peine le temps de les faire asseoir, de leur poser quelques questions. Que ressentez-vous ? Où avez-vous mal ? Depuis combien de temps ? Les autres attendent, le regard fixé sur la porte matelassée, et se demandant si leur tour viendra jamais. Tirez la langue ! Déshabillez-vous ! Dans la plupart des cas, une heure ne suffirait pas pour découvrir tout ce qu’il faudrait savoir.
Chaque malade est un cas par lui-même et je suis obligé de travailler à la chaîne...
Maigret, alors, lui avait parlé de l’aboutissement de son travail à lui, c’est-à-dire des Assises, puisque aussi bien c’est là que la plupart des enquêtes trouvent leur conclusion.
— Des historiens, avait-il remarqué, des érudits, consacrent leur vie entière à étudier un personnage du passé sur qui il existe déjà des quantités d’ouvrages. Ils vont de bibliothèque en bibliothèque, d’archives en archives, recherchent les moindres correspondances dans l’espoir d’atteindre à un peu plus de vérité...
« Il y a cinquante ans et plus qu’on étudie la correspondance de Stendhal afin de mieux dégager sa personnalité...
« Un crime est-il commis, presque toujours par un être hors série, c’est-à-dire moins facile à pénétrer que l’homme de la rue ? On me donne quelques semaines, sinon quelques jours, pour pénétrer un nouveau milieu, pour entendre dix, vingt, cinquante personnes dont je ne savais rien jusque-là et pour, si possible, faire la part du vrai et du faux.
« On m’a reproché de me rendre personnellement sur place au heu d’envoyer mes inspecteurs. C’est un miracle, au contraire, qu’il me reste ce privilège !
« Le juge d’instruction, après moi, ne l’a pratiquement plus et ne voit les êtres, détachés de leur vie personnelle, que dans l’atmosphère neutre de son cabinet.
« Ce qu’il a devant lui, en somme, ce sont déjà des hommes schématisés.
« Il ne dispose, à son tour, que d’un temps limité ; talonné par la presse, par l’opinion, bridé dans ses initiatives par un fatras de règlements, submergé par des formalités administratives qui lui prennent le plus clair de son temps, que va-t-il découvrir ?
« Si ce sont des êtres désincarnés qui sortent de son cabinet, que reste-t-il aux Assises, et sur quoi les jurés vont-ils décider du sort d’un ou de plusieurs de leurs semblables ?
« Il n’est plus question de mois, ni de semaines, à peine de jours. Le nombre des témoins est réduit au minimum, comme celui des questions qui leur sont posées.
« Ils viennent répéter devant la Cour un condensé, un digest, comme on dit à présent, de ce qu’ils ont dit précédemment.
« L’affaire n’est dessinée qu’en quelques traits, les personnages ne sont plus que des esquisses, sinon des caricatures... »
N’avait-il pas eu une fois de plus cette impression-là ce matin, alors même qu’il faisait sa propre déposition ?
La presse allait écrire qu’il avait parlé longuement et peut-être s’en étonner. Avec un autre président que Xavier Bernerie, en effet, on ne lui aurait laissé la parole que quelques minutes, alors qu’il était resté près d’une heure à la barre.
Il s’était efforcé d’être précis, de communiquer à ceux qui l’écoutaient un peu de ce qu’il pressentait.
Il parcourut des yeux le menu polycopié et le tendit à Janvier.
— Moi, je prendrai la tête de veau...
Des inspecteurs restaient groupés au bar. On remarquait deux avocats au restaurant.
— Tu sais, ma femme et moi avons acheté une maison.
— À la campagne ?
Il s’était juré de ne pas en parler, non par goût du mystère, mais par pudeur, car on ne manquerait pas d’établir une corrélation entre cet achat et la retraite qui n’était plus si lointaine.
— À Meung-sur-Loire ?
— Oui... On dirait un presbytère...
Dans deux ans, il n’y aurait plus pour lui de Cour d’Assises, sinon à la troisième page des journaux. Il y lirait les témoignages de son successeur, le commissaire...
Au fait, qui allait lui succéder ? Il n’en savait rien. Peut-être commençait-on à en parler en haut lieu, mais -il n’en était évidemment pas question devant lui.
— De quoi ont-ils l’air, ces deux gosses ?
Janvier haussait les épaules.
— L’air qu’ils prennent tous en ce moment.
À travers les vitres, Maigret regardait la pluie tomber, le parapet gris de la Seine, les autos qui avaient des moustaches d’eau sale.
— Comment a été le président ?
— Très bien.
— Et elle ?
— J’ai chargé Lapointe de la filer. Elle est tombée entre les pattes d’un avocat plutôt marron, Lamblin...
— Elle a avoué avoir un amant ?
— On ne le lui a pas demandé. Bernerie est prudent.
Il ne fallait pas perdre de vue, en effet, que c’était le procès de Gaston Meurant qui se déroulait aux Assises, non celui de sa femme.
— Cajou l’a reconnue ?
— Bien sûr.
— Comment le mari a-t-il pris ça ?
— Sur le moment, ça l’aurait soulagé de me tuer.
— Il sera acquitté ?
— Il est trop tôt pour le savoir.
La vapeur montait des plats, la fumée des cigarettes, et le nom des vins recommandés était peint en blanc sur les glaces qui entouraient la pièce.
Il y avait un petit vin de la Loire, tout près de Meung et de la maison qui ressemblait à un presbytère.
CHAPITRE IV
À deux heures, Maigret, toujours accompagné de Janvier, gravissait le grand escalier du quai des Orfèvres qui parvenait, même en été, par le matin le plus guilleret, à être triste et glauque. Aujourd’hui, un courant d’air humide le parcourait et les traces de semelles mouillées, sur les marches, ne séchaient pas.
Dès le premier palier, on percevait venant du premier étage une légère rumeur, puis on entendait des voix, des allées et venues indiquant que la presse, alertée, était là, avec les photographes et sans doute des gens de la télévision, sinon du cinéma.
Une affaire finissait ou avait l’air de finir au Palais. Une autre commençait ici. À un bout, c’était déjà la foule. À l’autre, on ne voyait encore que les spécialistes.
Quai des Orfèvres aussi existait une sorte de chambre des témoins, la salle d’attente vitrée qu’on appelait la cage de verre, et le commissaire s’arrêta en passant pour jeter un coup d’œil sur les six personnages assis sous les photographies de policiers morts en service commandé.
Fallait-il croire que tous les témoins se ressemblent ? Ceux-ci appartenaient au même milieu que ceux du Palais de Justice, des petites gens, des travailleurs modestes, et, parmi eux, deux femmes qui regardaient droit devant elles, les mains sur leur sac de cuir.
Les reporters se précipitaient vers Maigret qui les calmait du geste.
— Doucement ! Doucement ! N’oubliez pas, messieurs, que je ne sais encore rien et que je n’ai pas vu ces garçons...
Il poussait la porte de son bureau, promettait :
— Dans deux ou trois heures, peut-être, si j’ai du nouveau à vous apprendre...
Il referma la porte, dit à Janvier :
— Va voir si Lapointe est arrivé.
Il retrouvait les gestes d’avant les vacances, presque aussi rituels, pour lui, que, pour les magistrats, le cérémonial des Assises. Retirant son manteau, son chapeau, il les accrochait dans le placard où une fontaine d’email permettait de se laver les mains. Puis il s’asseyait à son bureau, tripotait un peu ses pipes avant d’en choisir une et de la bourrer.
Janvier revenait avec Lapointe.
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