Луи-Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке
- Название:Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке
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Place Vendôme, qu’on a fini par se quitter. Chacun partait de son côté. On ne se voyait plus en se quittant et on parlait bas, tellement il y avait des échos. Pas de lumière, c’était défendu.
Lui, Jean Voireuse, je l’ai jamais revu. Robinson, je l’ai retrouvé souvent par la suite. Jean Voireuse, c’est les gaz qui l’ont possédé, dans la Somme. Il est allé finir au bord de la mer, en Bretagne, deux ans plus tard, dans un sanatorium marin. Il m’a écrit deux fois dans les débuts puis plus du tout. Il n’y avait jamais été à la mer. « T’as pas idée comme c’est beau, qu’il m’écrivait, je prends un peu des bains, c’est bon pour mes pieds, mais ma voix je crois qu’elle est bien foutue. » Ça le gênait parce que son ambition, au fond, à lui, c’était de pouvoir un jour rentrer dans les chœurs au théâtre.
C’est bien mieux payé et plus artiste les chœurs que la figuration simple.
Les huiles ont fini par me laisser tomber et j’ai pu sauver mes tripes, mais j’étais marqué à la tête et pour toujours. Rien à dire. « Va-t’en!.. qu’ils m’ont fait. T’es plus bon à rien!..
– En Afrique! que j’ai dit moi. Plus que ça sera loin, mieux ça vaudra! » C’était un bateau comme les autres de la Compagnie des Corsaires Réunis qui m’a embarqué. Il s’en allait vers les Tropiques, avec son fret de cotonnades, d’officiers et de fonctionnaires.
Il était si vieux ce bateau qu’on lui avait enlevé jusqu’à sa plaque en cuivre, sur le pont supérieur, où se trouvait autrefois inscrite l’année de sa naissance; elle remontait si loin sa naissance qu’elle aurait incité les passagers à la crainte et aussi à la rigolade.
On m’avait donc embarqué là-dessus, pour que j’essaye de me refaire aux Colonies. Ils y tenaient ceux qui me voulaient du bien, à ce que je fasse fortune. Je n’avais envie moi que de m’en aller, mais comme on doit toujours avoir l’air utile quand on est pas riche et comme d’autre part je n’en finissais pas avec mes études, ça ne pouvait pas durer. Je n’avais pas assez d’argent non plus pour aller en Amérique. « Va pour l’Afrique! » que j’ai dit alors et je me suis laissé pousser vers les Tropiques, où, m’assurait‐on, il suffisait de quelque tempérance et d’une bonne conduite pour se faire tout de suite une situation.
Ces pronostics me laissaient rêveur. Je n’avais pas beaucoup de choses pour moi, mais j’avais certes de la bonne tenue, on pouvait le dire, le maintien modeste, la déférence facile et la peur toujours de n’être pas à l’heure et encore le souci de ne jamais passer avant une autre personne dans la vie, de la délicatesse enfin…
Quand on a pu s’échapper vivant d’un abattoir international en folie, c’est tout de même une référence sous le rapport du tact et de la discrétion. Mais revenons à ce voyage. Tant que nous restâmes dans les eaux d’Europe, ça ne s’annonçait pas mal. Les passagers croupissaient, répartis dans l’ombre des entreponts, dans les w.-c., au fumoir, par petits groupes soupçonneux et nasillards. Tout ça, bien imbibé de picons et cancans, du matin au soir. On en rotait, sommeillait et vociférait tour à tour et semblait-il sans jamais regretter rien de l’Europe.
Notre navire avait nom: l’ Amiral-Bragueton . Il ne devait tenir sur ces eaux tièdes que grâce à sa peinture. Tant de couches accumulées par pelures avaient fini par lui constituer une sorte de seconde coque à l’ Amiral-Bragueton à la manière d’un oignon. Nous voguions vers l’Afrique, la vraie, la grande; celle des insondables forêts, des miasmes délétères, des solitudes inviolées, vers les grands tyrans nègres vautrés aux croisements de fleuves qui n’en finissent plus. Pour un paquet de lames « Pilett » j’allais trafiquer avec eux des ivoires longs comme ça, des oiseaux flamboyants, des esclaves mineures. C’était promis. La vie quoi! Rien de commun avec cette Afrique décortiquée des agences et des monuments, des chemins de fer et des nougats. Ah non! Nous allions nous la voir dans son jus, la vraie Afrique! Nous les passagers boissonnants de l’ Amiral-Bragueton!
Mais, dès après les côtes du Portugal, les choses se mirent à se gâter. Irrésistiblement, certain matin au réveil, nous fûmes comme dominés par une ambiance d’étuve infiniment tiède, inquiétante. L’eau dans les verres, la mer, l’air, les draps, notre sueur, tout, tiède, chaud. Désormais impossible la nuit, le jour, d’avoir plus rien de frais sous la main, sous le derrière, dans la gorge, sauf la glace du bar avec le whisky. Alors un vil désespoir s’est abattu sur les passagers de l’ Amiral-Bragueton condamnés à ne plus s’éloigner du bar, envoûtés, rivés aux ventilateurs, soudés aux petits morceaux de glace, échangeant menaces après cartes et regrets en cadences incohérentes.
Ça n’a pas traîné. Dans cette stabilité désespérante de chaleur tout le contenu humain du navire s’est coagulé dans une massive ivrognerie. On se mouvait mollement entre les ponts, comme des poulpes au fond d’une baignoire d’eau fadasse. C’est depuis ce moment que nous vîmes à fleur de peau venir s’étaler l’angoissante nature des Blancs, provoquée, libérée, bien débraillée enfin, leur vraie nature, tout comme à la guerre. Étuve tropicale pour instincts tels crapauds et vipères qui viennent enfin s’épanouir au mois d’août, sur les flancs fissurés des prisons. Dans le froid d’Europe, sous les grisailles pudiques du Nord, on ne fait, hors les carnages, que soupçonner la grouillante cruauté de nos frères, mais leur pourriture envahit la surface dès que les émoustille la fièvre ignoble des Tropiques. C’est alors qu’on se déboutonne éperdument et que la saloperie triomphe et nous recouvre entiers. C’est l’aveu biologique. Dès que le travail et le froid ne nous astreignent plus, relâchent un moment leur étau, on peut apercevoir des Blancs, ce qu’on découvre du gai rivage, une fois que la mer s’en retire: la vérité, mares lourdement puantes, les crabes, la charogne et l’étron.
Ainsi, le Portugal passé, tout le monde se mit, sur le navire, à se libérer les instincts avec rage, l’alcool aidant, et aussi ce sentiment d’agrément intime que procure une gratuité absolue de voyage, surtout aux militaires et fonctionnaires en activité. Se sentir nourri, couché, abreuvé pour rien pendant quatre semaines consécutives, qu’on y songe, c’est assez, n’est-ce pas, en soi, pour délirer d’économie? Moi, seul payant du voyage, je fus trouvé par conséquent, dès que cette particularité fut connue, singulièrement effronté, nettement insupportable.
Si j’avais eu quelque expérience des milieux coloniaux, au départ de Marseille, j’aurais été, compagnon indigne, à genoux, solliciter le pardon, la mansuétude de cet officier d’infanterie coloniale, que je rencontrais partout, le plus élevé en grade, et m’humilier peut-être au surplus, pour plus de sécurité, aux pieds du fonctionnaire le plus ancien. Peut-être alors, ces passagers fantastiques m’auraient-ils toléré au milieu d’eux sans dommage? Mais, ignorant, mon inconsciente prétention de respirer autour d’eux faillit bien me coûter la vie.
On n’est jamais assez craintif. Grâce à certaine habileté, je ne perdis que ce qu’il me restait d’amour-propre. Et voici comment les choses se passèrent. Quelque temps après les îles Canaries, j’appris d’un garçon de cabine qu’on s’accordait à me trouver poseur, voire insolent?.. Qu’on me soupçonnait de maquereautage en même temps que de pédérastie… D’être même un peu cocaïnomane… Mais cela à titre accessoire… Puis l’Idée fit son chemin que je devais fuir la France devant les conséquences de certains forfaits parmi les plus graves. Je n’étais cependant qu’aux débuts de mes épreuves. C’est alors que j’appris l’usage imposé sur cette ligne, de n’accepter qu’avec une extrême circonspection, d’ailleurs accompagnée de brimades, les passagers payants; c’est-à-dire ceux qui ne jouissaient ni de la gratuité militaire, ni des arrangements bureaucratiques, les colonies françaises appartenant en propre, on le sait, à la noblesse des « Annuaires ».
Il n’existe après tout que bien peu de raisons valables pour un civil inconnu de s’aventurer de ces côtés… Espion, suspect, on trouva mille raisons pour me toiser de travers, les officiers dans le blanc des yeux, les femmes en souriant d’une manière entendue. Bientôt, les domestiques eux-mêmes, encouragés, échangèrent derrière mon dos, des remarques lourdement caustiques. On en vint à ne plus douter que c’était bien moi le plus grand et le plus insupportable mufle du bord et pour ainsi dire le seul. Voilà qui promettait.
Je voisinais à table avec quatre agents des postes du Gabon, hépatiques, édentés. Familiers et cordiaux dans le début de la traversée, ils ne m’adressèrent ensuite plus un traître mot. C’est-à-dire que je fus placé, d’un tacite accord, au régime de la surveillance commune. Je ne sortais plus de ma cabine qu’avec d’infinies précautions. L’air tellement cuit nous pesait sur la peau à la manière d’un solide. À poil, verrou tiré, je ne bougeais plus et j’essayais d’imaginer quel plan les diaboliques passagers avaient pu concevoir pour me perdre. Je ne connaissais personne à bord et cependant chacun semblait me reconnaître. Mon signalement devait être devenu précis, instantané dans leur esprit, comme celui du criminel célèbre qu’on publie dans les journaux.
Je tenais, sans le vouloir, le rôle de l’indispensable « infâme et répugnant saligaud » honte du genre humain qu’on signale partout au long des siècles, dont tout le monde a entendu parler, ainsi que du Diable et du Bon Dieu, mais qui demeure toujours si divers, si fuyant, quand à terre et dans la vie, insaisissable en somme. Il avait fallu pour l’isoler enfin, le « saligaud », l’identifier, le tenir, les circonstances exceptionnelles qu’on ne rencontrait que sur ce bord étroit.
Une véritable réjouissance générale et morale s’annonçait à bord de l’ Amiral-Bragueton . « L’immonde » n’échapperait pas à son sort. C’était moi.
À lui seul cet événement valait tout le voyage. Reclus parmi ces ennemis spontanés, je tâchais tant bien que mal de les identifier sans qu’ils s’en aperçussent. Pour y parvenir je les épiais impunément, le matin surtout, par le hublot de ma cabine. Avant le petit déjeuner, prenant le frais, poilus du pubis aux sourcils et du rectum à la plante des pieds, en pyjamas, transparents au soleil; vautrés le long du bastingage, le verre en main, ils venaient roter là, mes ennemis, et menaçaient déjà de vomir alentour, surtout le capitaine aux yeux saillants et injectés que son foie travaillait ferme, dès l’aurore. Régulièrement au réveil, il s’enquérait de mes nouvelles auprès des autres lurons, si « l’on » ne m’avait pas encore « balancé par-dessus bord » qu’il demandait. « Comme un glaviot! » Pour faire image, en même temps il crachait dans la mer mousseuse. Quelle rigolade!
L’ Amiral n’avançait guère, il se traînait plutôt, en ronronnant, d’un roulis vers l’autre. Ce n’était plus un voyage, c’était une espèce de maladie. Les membres de ce concile matinal, à les examiner de mon coin, me semblaient tous assez profondément malades, paludéens, alcooliques, syphilitiques sans doute, leur déchéance visible à dix mètres me consolait un peu de mes tracas personnels. Après tout, c’étaient des vaincus, tout de même que moi ces Matamores!.. Ils crânaient encore voilà tout! Seule différence! Les moustiques s’étaient déjà chargés de les sucer et de leur distiller à pleines veines ces poisons qui ne s’en vont plus… Le tréponème à l’heure qu’il était leur limaillait déjà les artères… L’alcool leur bouffait les foies… Le soleil leur fendillait les rognons… Les morpions leur collaient aux poils et l’eczéma à la peau du ventre… La lumière grésillante finirait bien par leur roustiller la rétine!.. Dans pas longtemps que leur resterait-il? Un bout du cerveau… Pour en faire quoi avec? Je vous le demande?.. Là où ils allaient? Pour se suicider? Ça ne pouvait leur servir qu’à ça, un cerveau là où ils allaient… On a beau dire, c’est pas drôle de vieillir dans les pays où y a pas de distractions… Où on est forcé de se regarder dans la glace dont le tain verdit devenir de plus en plus déchu, de plus en plus moche… On va vite à pourrir, dans les verdures, surtout quand il fait chaud atrocement.
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